Ça fait 2 semaines que je lis un livre incroyable, un mélange entre Avatar & la découverte des premières intelligences artificielles globales. Sommes-nous à l'aube du transhumanisme, ou notre nature profonde peut-elle encore nous sauver ?
Bref, durant ma lecture je suis tombé sur cette histoire :
“Un entrepreneur américain juste retraité achète un bungalow de luxe dans un village du Mexique. Chaque matin, lorsqu’il boit son café sur sa terrasse en teck, il observe le manège d’un pêcheur revenant sur son frêle bateau de bois avec un seul poisson.
Au bout d’une semaine, l’Américain l’interpelle.
- Eh l’ami je peux te poser une question ?
- Bien sûr, répond le pêcheur en s’avançant vers lui tout sourire.
- Je remarque que tu ne ramènes qu’un poisson chaque matin, pourquoi ?
- J’ai une femme et deux jeunes enfants, cela suffit largement.
- Mais tu pourrais en prendre plus, dès le moment où tu te donnes la peine de te lever de bonne heure pour partir en mer. Regarde, il est à peine 8 heures. Si tu pêchais plus longtemps, tu pourrais revenir avec une dizaine de poissons. Que fais-tu du reste de tes journées ?
- Ma foi, je m’amuse avec mes enfants, je mange, je m’octroie une longue sieste, je fais l’amour avec ma femme puis je vais boire l’apéro et jouer de la guitare avec mes amis. Si je restais plus longtemps en mer, je devrais renoncer à l’une de ces choses pour de la nourriture dont je n’ai pas besoin.
- Tu pourrais revendre au marché les poissons que tu ne manges pas.
- Et que ferais-je de cet argent supplémentaire ?
- Tu l’économiserais pour acheter un deuxième bateau et engager un autre pêcheur. Tu doublerais ainsi ta production et tes revenus.
- Et que ferais-je d’encore plus d’argent ?
- Tu achèterais un autre bateau, puis un autre. Bientôt tu n’aurais plus besoin d’aller pêcher toi-même. Tu t’occuperais de la gestion de ton entreprise.
- Cela me parait pesant, j’y passerais beaucoup plus de temps qu’aujourd’hui.
- Sans doute, mais tu deviendrais quelqu’un d’important et si tu réussis bien, tu n’auras pas besoin de trimer comme cela toute ta vie. Regarde, moi, j’ai 55 ans et je viens de vendre mon entreprise. Maintenant, je n’ai plus besoin de travailler.
- Et que fais-tu de tes journées ?
- Comme tu le vois, j’ai acheté ce beau bungalow. J’invite mes grands enfants à y passer leur vacances. Ils n’ont plus vraiment l’âge de jouer, mais ça me fait plaisir de les voir de temps en temps quand ils peuvent se libérer.
Comme toi, je m’accorde une sieste tous les jours. Parfois je fais l’amour à ma femme, même si notre rythme n’est plus celui de notre jeunesse. Un peu avant le coucher de soleil je pars boire l’apéro avec mes amis. J’apprends même à jouer de la guitare.
Le pêcheur le regarde d’un air ahuri, puis éclate de rire.”
Cette histoire résume pour moi un des plus grands pièges de notre existence : vivre constamment dans le futur, dans l'attente du "jour où, enfin..."
Dernièrement, j'ai pris conscience que je cherchais tout le temps le truc d'après. J'étais en pleine préparation de mon semi-marathon et je pensais déjà à mon prochain projet : partir faire le chemin de Compostelle.
En fait, je crois que je pense qu'en faisant quelque chose je vais trouver du bonheur, de la satisfaction. Du coup, je ne suis jamais dans le moment présent, je suis toujours en train de fantasmer la manière dont je vais me sentir quand je serai en train de faire cette chose.
Sauf que lorsque j'arrive à cette chose, je pense déjà à la prochaine.
Résultat ? J'ai jamais le sentiment de vivre ma vie. J'ai le sentiment de vivre les choses par projection dans un futur fantasmé.
J'ai marché durant 3 jours, 30km par jour, l'occasion d'avoir beaucoup de temps pour penser, réfléchir, introspecter. Et je me suis rendu compte que j'étais en train de courir après je ne sais quoi, de chercher tout le temps plus, autre chose. Et ça me rend profondément malheureuse. Car je sais que c'est le meilleur moyen de ne jamais apprécier ce que j'ai déjà.
L'illusion du "jour où, enfin..."
La société moderne nous a programmés pour cette vision : sacrifie maintenant, profite plus tard.
Comme l'entrepreneur de notre histoire, on passe notre vie à construire quelque chose, à courir vers un objectif, en se disant qu'un jour, au bout du chemin, se trouve notre "village de pêcheur" - cet endroit symbolique où on pourra enfin ralentir et profiter de la vie.
Mais en chemin, on oublie quelque chose d'essentiel : le pêcheur, lui, est déjà là. Il vit déjà cette vie. Il n'a pas sacrifier des années pour enfin en profiter.
Vivre avant de mourir
Le temps n'est pas une devise qu'on peut économiser.
Chaque journée dépensée dans l'attente d'une "vraie vie" est une journée de vraie vie perdue.
Je regarde autour de moi et je vois tant d'exemples:
Des personnes qui ont travaillé comme des dingues pour une retraite qu'ils n'ont jamais pu profiter
D'autres qui ont sacrifié leur santé pour faire carrière, puis sacrifié leur carrière pour retrouver leur santé
Celles qui ont remis à plus tard les projets qui leur tenaient vraiment à cœur, jusqu'à ce que l'énergie ou l'occasion disparaisse
C’est tellement facile de croire que notre vie commence "après". Après cet objectif, après ce projet, après cette phase difficile.
Mais la vie ne commence pas demain. Elle a lieu maintenant.
Cette histoire m’a marquée parce que j'ai tellement de fois repoussé ma propre vie à "plus tard":
"Quand j'aurai mon propre business, je pourrai enfin prendre du temps pour moi"
"Quand je serai financièrement libre, je pourrai offrir des voyages à ma famille et passer du bon temps avec eux"
"Je mangerai mieux quand je me sentirai mieux mentalement"
"Quand j'aurai tant d'argent de côté, je voyagerai enfin"
Pourquoi sommes-nous comme ça ?
Trois raisons principales me semblent expliquer pourquoi on tombe dans ce piège :
L'illusion que l'accomplissement = bonheur On a intériorisé l'idée que notre valeur et notre bonheur sont liés à nos accomplissements, nos réussites, plutôt qu'à la façon dont nous vivons chaque jour.
La peur de l'incertitude : Le chemin balisé (objectif après objectif) nous donne l'illusion rassurante de la certitude, du contrôle. Vivre pleinement maintenant exige d'embrasser l'incertitude.
Notre cerveau est câblé pour toujours en vouloir plus : c'est l'adaptation hédonique : on s'habitue rapidement à ce qu'on a atteint, et on revient à notre niveau de bonheur de base. Du coup, on cherche constamment la prochaine "dose" de satisfaction.
Ce qu'on cherche vraiment est déjà là
Au fond, quand on projette notre bonheur dans l'atteinte d'un objectif futur, ce qu'on recherche n'est pas vraiment cet objectif en lui-même.
Ce qu'on cherche, c'est un sentiment. Un état émotionnel.
On veut :
La liberté de choisir comment passer notre temps
La tranquillité d'esprit de savoir qu'on est en sécurité
Le sentiment d'accomplissement qui vient quand on crée quelque chose
La connexion profonde avec des gens qui nous comprennent
La présence dans l'instant, sans se soucier du passé ou du futur
Je ne dis pas que c'est facile. Notre société entière est construite pour nous faire croire le contraire. Les réseaux sociaux, la publicité, les films, la comparaison avec les autres, tout nous pousse à vouloir plus, toujours plus.
Ce que j'espère obtenir "plus tard" après avoir atteint ces objectifs, c'est :
Du temps pour poursuivre mes passions
Des moments de qualité avec mes proches
La liberté de faire des choix sans pression financière
Un sentiment de paix et de satisfaction
Mais si je suis honnête avec moi-même, c'est que beaucoup de ces éléments sont déjà accessibles maintenant.
Je peux déjà:
Consacrer 1h par jour à une passion
Être totalement présente avec mes proches ce week-end
Trouver des moments de paix quotidiens
Apprécier ce que j'ai déjà
Comme le pêcheur mexicain, j'ai déjà accès à l'essentiel de ce que j'imagine obtenir "plus tard".
Ces moments de joie pure, de connexion profonde, de paix intérieure... on peut les cultiver dès maintenant. Sans attendre d'avoir atteint tel ou tel objectif.
Le "assez" n'arrive jamais si on ne décide pas consciemment ce que ça signifie pour nous.
Comment je tente de sortir de cette prison mentale
Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, je travaille moi-même là-dessus chaque jour. Mais voici ce qui m 'aide :
Définir ce qu'est "assez" : sans une définition claire de ce qui est "suffisant" pour moi, je serai toujours en quête de "plus". Qu'est-ce qui, vraiment , me suffirait pour être en paix ? Pas ce que la société me dit de vouloir, mais ce qui compte vraiment pour moi.
J’essaye régulièrement, lors de mes moments de journaling, de prendre le temps d’écrire ce qui me fait me sentir bien, ça peut être des petits détails comme le fait de prendre un café dans un endroit que j’adore face à la mer, ou bien une conversation enrichissante avec quelqu’un que j’apprécie. J’aime bien cette phrase qui dit que la vie est une succession de moment présent.
Reconnaître ce que j’ai déjà : quels sont ces moments où je me sens parfaitement bien, alignée, présente, joyeuse ?
Pratiquer la "répétition générale" : au lieu d'attendre d'atteindre mon objectif pour commencer à vivre comme je le souhaite, je me demande : comment puis-je intégrer un peu de cette vie rêvée dès maintenant ?
Si je rêve d'avoir plus de temps pour écrire "une fois que j'aurai atteint X", je commence par prendre 30 minutes aujourd'hui pour le faire.
Célébrer le chemin : je m'efforce de trouver de la joie dans le processus lui-même, pas seulement dans le résultat.
Distinguer l'ambition de l'attachement : je peux avoir des objectifs sans y attacher tout mon bonheur. Je peux viser des sommets tout en appréciant chaque pas de l'escalade.
La question qui m’aide face à cette illusion
Alors voici la question que je me pose chaque jour, et que je vous partage :
Qu'est-ce que j'attends de vivre "plus tard" que je pourrais commencer à intégrer dans ma vie dès aujourd'hui ?
Qu'est-ce qui m'empêche vraiment de commencer maintenant?
À très vite 🫶🏻
Dans mon second cerveau :
« Any moment when you're not in that moment you are dead to that moment. » – Naval Ravikant
(À chaque instant où tu n'es pas pleinement dans l'instant présent, tu es mort à cet instant.)
Au top cette réflexion, merci!
De mon côté j’essaie de réfléchir par extrême et me demander honnêtement ce qui m’empêche de le faire maintenant : si je gagnais 100M€, qu’est ce que je m’offrirai? Est ce pour mon bonheur ou pour mon image? Est ce que je peux pas me l’offrir maintenant?
Si j’avais tout le temps du monde, qu’est ce que je ferai?
Si je pouvais être ami de n’importe qui, qui ça serait?
Si je pouvais habiter n’importe où, où ça serait?
Au plaisir de te lire
Merci pour ce partage profond et inspirant qui m'a touché. Je me reconnais tellement !
En y réfléchissant, en plus de ton analyse, que je partage, je vois deux autres racines profondes :
- l'éducation : j'ai tellement entendu dans mon enfance "le travail d'abord, le plaisir ensuite !". Alors forcément, ça m'influence encore aujourd'hui.
- les blessures, les traumas et leurs conséquences. Quand on a été privé d'amour, de sécurité, de soutien, de liberté, etc., ça crée un vide, comme un puits sans fond. On croit alors qu'on va le combler dans l'action et dans le plus tard. Au moment du trauma, on se coupe de soi pour survivre. On va chercher la réparation à l'extérieur. On vit alors dans le passé, car la souffrance (et le souvenir qui l'accompagne) se vit toujours en nous. On se sent en insécurité alors que là tout de suite, il n'y rien dans l'environnement qui est dangereux. On se sent seul(e), pas soutenu, même si on a des amis qui de demandent qu'à être là et soutenir. Le présent en est douloureux et on le fuit aussi.
Je pense que c'est ce que représente l'Américain dans le livre que tu partages. Le pêcheur, lui, vit pleinement le présent. Quand il est avec sa femme, il y est vraiment. Pareil avec les enfants. Ce qui fait qu'il se sent comblé par ce qu'il a et n'a pas besoin de plus. Peut-être qu'il a vécu lui aussi des choses très difficiles, mais il a pansé ses blessures. En tout cas, bien que je n'ai pas lu le livre, c'est ce qu'il m'inspire.
C'est un long chemin que de revenir à soi. De s'arrêter.
Long, douloureux, et tellement passionnant ! Et émouvant, je trouve.
Et merci également pour ce doux moment d'introspection.